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carré jaune Annie Zadek de A à Z

ALBUM (photos)
Je n'ai jamais connu ce tendre rituel : tournant très lentement les pages de l'album, quelqu'un montre à quelqu'un, assis tout près de lui, les photos des visages et des maisons d'ailleurs, expliquant où et quand, et surtout qui est qui, reliant les uns aux autres et me montrant ma place.

Famille Kot

BOURGEOIS (Louise)
« L'indicible n'est pas un problème pour moi. C'est même le commencement de l'Œuvre. C'est la raison de travailler ; la motivation de l'Œuvre est de détruire l'indicible [1]. »

COLÈRE
Me soulève fréquemment. C'est un de mes carburants les plus actifs. J'éclate, je crie, j'écris. Je connais ma violence.

DURÉE
Cinq à huit années sur chaque livre. Ou plus, qu'importe. La durée est un matériau de mon écriture. La durée et les modifications qu'elle apporte. Je vis avec ce livre comme je vis avec cet homme. Avec celui-là, j'ai écrit tel et tel livre. Avec celui-ci, celui-là. Avec cet autre, le dernier et, probablement, le prochain. Nous vivons ensemble, mon livre et moi.

EXPÉRIENCES
Celles des autres ne me servent à rien. Mais les miennes ne me servent pas à grand chose non plus : je fais toujours les mêmes erreurs, je tombe toujours dans les mêmes pièges, je suis toujours séduite par le même type de personne. Dans ces conditions, comment prétendre à la sagesse ! J'y renonce.

FLAUBERT (Gustave)
Rien de plus nécessaire pour un écrivain femme que de lire les lettres de Flaubert à Louise Colet. Ainsi : « Tu arriveras à la plénitude de ton talent en dépouillant ton sexe qui doit te servir comme science et non comme expansion. » (16 novembre 1852) [2]

GUSTAVE (Flaubert)
Rien de plus nécessaire pour un écrivain que de lire, « ... lire tous les jours (comme un bréviaire) quelque chose de bon. Cela s'infiltre à la longue. » Du même à la même (6 juin 1853) [3].

HYSTÉRIE
« Mais c'est fini tout cela
les scènes
les insultes
les gestes de fou
l'audace toujours plus grande
l'irrémédiable chaque fois repoussé » (La Condition des soies)
Shakespeare, Purcell, les scènes de ménage, la scène de théâtre. Je connais plus d'hommes hystériques que de femmes.

INSPIRATION
Avec talent, le pire des clichés sur la création. À la limite, expiration me semblerait plus convenable.
« Le travail ? Ou l'inspiration ?
Le talent ? Ou la vérité ? » (Vivant)

JUIFS
Mes parents étaient Juifs. Ils ont dû quitter leur pays natal, leur ville et leur maison pour fuir l'antisémitisme forcené des Polonais. Leur ferveur pour les Lumières et le Front Populaire les a conduits en France où je suis née. Mais moi, je n'étais pas juive. Je le suis devenue.

KOHLHAAS (Michaël)
Avec la chèvre de Monsieur Seguin, Michaël Kohlhaas est le personnage auquel je m'identifie le plus formellement. Tous deux sacrifient avec emportement leur bonheur, leur bien-être, leur vie et, en ce qui concerne Kohlhaas, celle des autres, pour une idée fixe, une monomanie, autrement dit, une passion, un idéal : liberté et orgueil dans le cas de Blanchette ; justice et vengeance dans le cas de Michaël Kohlhaas. [4]

LANGUE MATERNELLE
Mes parents se parlaient en yiddish et en polonais. À moi, ils parlaient en FLE (« Français Langue Étrangère »), le français des banquiers juifs de Balzac : « Fus êdes cholie […] Gomme fus êdes grielle ! [...] Dennez, fus êdes eine incrade ! » (le Baron de Nucingen dans « Splendeurs et misère des courtisanes »). Ainsi, la langue française n'est pas, à proprement parler, ma langue maternelle : ce n'est pas un héritage, un legs, une évidence. C'est plutôt un trésor de guerre dont la possession et l'usage me sont, toujours, vaguement incertains.

MIGRAINE
Pendant ses crises, ma mère arpentait l'appartement comme une Lady Macbeth peinte par Füssli : clair-obscur, vêtement long et vague, une main comprimant son front prêt à éclater, l'autre main en avant, tendu vers les « Optalidon » salvateurs. Évidemment, j'étais horrifiée. Évidemment, je suis migraineuse.

NATURE
« la nature
sous toutes ses formes la nature m'étouffe
la nature m'asphyxie
elle me tue.
Les neiges sont éternelles
les forêts
vierges
les horizons
illimités
tout ça
pour rien
pour personne.
La nature ?
Mais la nature me met HORS DE MOI ! »(La Condition des soies)
Ceci n'est pas un paradoxe. C'est la peur de ma composante contemplative.

ORIGINE
J’aurais pu, il est vrai, vouloir « retrouver mes racines » comme on dit, mais c’est plus commode à dire qu’à faire quand vos parents, marranes de gauche, ne vous ont légué ni terre natale, ni langue maternelle – ou grand-maternelle –, ni religion, ni recettes de cuisine, ni souvenirs d’enfance, ni photos de famille. (Voir ALBUM)

PAROLES
J'écris des paroles. Je m'adresse. Au lecteur. Au spectateur. À l'auditeur. Je leur parle de front. J'essaie de leur faire face.

QUESTION
Mes textes commencent souvent par une question :
« C'était quoi cet endroit avant ? » (Roi de la valse)
« Quand, quand exactement ? »(La Condition des soies)
« Et les oreilles » ? (Vivant)
Il me faut au moins ça pour me tirer du bienheureux silence. Pour le rompre. Pour le briser. Tâcher que ce ne soit pas pour rien ! (Voir les 524 questions de Nécessaire et urgent)

RÊVES, RÈGLES
« Quand je passais le jour de la semaine, j'avais un r. puis désirais moins »
« Ce jour-là j'aurais dû mais troisième jour des r. alors... »(Vivant)

STIFTER (Adalbert)
D'emblée, il pose l'intimité de l'homme dans la nature et de la nature dans l'homme par une égalité de traitement qui frôle sans cesse le kitsch sans jamais y tomber. Lisez Brigitta ou Cristal de roche [5].

TALENT
Voir INSPIRATION

UNANIMISME
« La liesse avait été générale, on aurait même pu dire mondiale, sauf qu'on avait quand même du mal, en voyant les allemands de l'Est faire la queue aux supermarchés de l'Ouest pour y dépenser leurs 100 marks (c'était bien ça non déjà : 100 marks ?) à ne pas redouter la fin de l'espoir d'un monde meilleur, plus juste, plus libre, et cætera, sans parler du fait que c'est dur d'aller contre un tel unanimisme ou, comme on s'était mis à le dire "consensus", et de jouer les rabat-joie. » (Douleur au membre fantôme. Figures de Woyzeck)

VITON (Jean-Jacques)
Me demandait un texte pour la revue If :
AZ (réticente) : Mais je n'ai encore que des phrases.
JJV (définitif) : Et qu'est-ce qu'un texte sinon une suite de phrases !
Et bien sûr ! Qu'avons-nous besoin de la sauce !

WOOLF (Virginia)
La dernière phrase de son Journal, le 8 mars 1941, trois semaines avant de se suicider : « Et maintenant, que j'aille préparer la merluche. » [6] C'est bien qu'on est vivant jusqu'à la mort !

X.Y.ZADEK
En yiddish : le Juste (le Tsaddik). En polonais : les fesses... (Voir JUIFS)

[1] (Destruction du père. Reconstruction du père. Éditions Daniel Lelong, Paris, 2000) retour vers l'appel de la note
[2] Correspondance, Gustave Flaubert, Gallimard, 1980 retour vers l'appel de la note
[3] Ibid. retour vers l'appel de la note
[4] Michaël Kohlaas, Heinrich von Kleist, Phébus, 1983 retour vers l'appel de la note
[5] Éditions Jacqueline Chambon, 1988 retour vers l'appel de la note
[6] Stock, 1990 retour vers l'appel de la note

 

Mise à jour le 23.05.2024 © 2017 Juliette Gourlat
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