Sur "Nécessaire et urgent" est une suite de centaines de questions adressées à un "vous" et, dans la dernière partie à un "nous". À qui s’adressent-elles ? Pourquoi n’y a-t-il jamais de réponses ? A.Z. À qui s’adressent ces questions ? Aux fantômes ! Parce que ces centaines de questions qu’enfants, par pudeur ou par insouciance, nous n’avons pas posées aux parents, maintenant qu’ils ne sont plus là pour répondre et, peut-être ? nous consoler, n’en finissent pas de nous hanter. Quand cette forme − à la fois supplice, questionnaire policier et QCM – s’est imposée à moi comme nécessaire, urgente et… poétique, je me suis dit que j’étais en train d’écrire un manuel pour séances de spiritisme ! Mais l’écrivain n’est-il pas une sorte de médium, celui qui, au sens propre, "fait parler les morts", les pogromés, les négationnés, les disparus sans sépulture ni "dernières paroles" ? Voilà pourquoi ils ne peuvent pas répondre. Et ce silence est une menace en même temps qu’une accusation. Mais la cinquième partie a un statut entièrement différent : les questions nous sont adressées, à nous, nous qui sommes ici en ce moment, nous les "contemporains". Que faisons-nous de ce silence, de cette menace, de cette accusation ? Quelles raisons avons-nous, nous, de ne pas répondre ? Quand allons-nous prendre toute la mesure de la contamination du présent par ce traumatisme majeur survenu dans notre passé ? De son infiltration dans notre langage, notre mémoire, notre corps, nos rêves, nos paysages, jusqu’à aujourd’hui et, vraisemblablement, demain ? A.Z. D’autant que c’est probablement un de mes textes qui s’y prête le mieux ! La première métamorphose a eu lieu l’été 2012 dans la Galerie d’art contemporain de la ville de Göppingen, en Allemagne, où j’ai manuscrit chacune des 524 questions sur 524 cartes qui, fixées au mur à hauteur d’yeux, couraient en une frise fragile le long des 90 mètres de cimaises [> écoutez voir : Kunsthalle Göppingen] ! L’on pourra observer une autre mue de Nécessaire et urgent l’été prochain, dans le Vercors [1] : à l’instar des graffitis de prisonniers, j’inscrirai mes 524 questions directement sur les murs d’un étroit couloir du "Lieu d’art", à Pont-en-Royans [> écoutez voir : La Halle, Pont-en-Royans]. La lecture-projection [2] créée avec Arno Gisinger en avril 2013 (bibliothèque E. Triolet de Bobigny pour le Festival Hors Limites) y sera également présentée [> écoutez voir : captation de la performance] et sera suivie d’une rencontre à laquelle participeront les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dont les recherches ont constamment alimenté ce que j’appelle mon "milieu nourricier vital" ! Et la résidence du Conseil régional d’Île de France que vous avez actuellement [3] avec l’Ancienne gare de déportation de Bobigny ? A.Z. Nous vivons une période cruciale de « passage de témoin » entre la mémoire communicative, celle des témoins historiques, contemporains de l’événement, et une mémoire culturelle [4] dont il nous incombe aujourd’hui d’assumer la transmission, de questionner les échecs, de repenser les formes. Aujourd’hui plus que jamais, car la disparition imminente des ultimes témoins historiques nous y oblige, au double sens du terme, de contrainte et d’engagement moral. Cette résidence voudrait être l’occasion de participer au processus en cours d’aménagement de l’Ancienne gare de déportation, avec la double préoccupation : "comment transmettre et comment s’en remettre" en mettant en jeu ma pratique d’une parole poétique depuis toujours entrelacée au théâtre, à la lecture publique et aux arts plastiques. Pour le site Poézibao à l’occasion de la première parution de Nécessaire et urgent suivi de la réédition de La Condition des soies chez Bazar Éditions, avril 2013 [5]. [1] Du 6 juillet au 7 septembre 2013 à La Halle de Pont-en-Royans.
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Mise à jour le
23.05.2024
© 2017 Juliette Gourlat |