Extrait
Tu sais ce que je fais après ?
Après je fourre ma gueule là où ça sent le plus, où l’étoffe a feutré. Là où ça a déteint.
Je soulève la manche
je la tiens bien écartée ouverte, en tendant le tissu entre mes deux mains
j’y pose en douceur mes lèvres
je promène ma langue le long de la couture
je l’enfile à l’endroit où les points ont lâché
je la fais aller et venir jusqu’au moment où le tissu est trempé de salive, je le mordille, je le tète
(comme ça au moins, je peux encore sentir le goût de sa transpiration)
je le mâche un peu
pas trop fort
mâcher la soie me met la chair de poule
la soie
la soie surtout me fait grincer des dents : c’est comme si on mâchait du miel
et le bruit que ça fait !
Est-ce que tu as déjà remarqué le bruit que fait le taffetas de soie, le taffetas glacé quand on le froisse ?
Et celui de la moire ?
Celui de la florence et de la bengaline ?
J’arrive à distinguer les différents tissus à leur bruit maintenant
j’arrive même à imaginer leur bruit rien qu’en prononçant leur nom.
Tu me croiras si tu veux mais rien que d’en parler j’en ai l’eau à la bouche. Je n’aurais presque plus besoin d’aller y toucher vraiment.
Si seulement ça me suffisait mais penses-tu, c’est plus fort que moi, une fois que j’ai commencé
j’ai envie de tout avaler
j’ai envie d’en avoir partout
je voudrais tellement pouvoir entrer tout entier dans l’armoire
m’accroupir là-dedans
avoir tout à portée de la main
j’ai l’impression qu’il n’y a que comme ça que je pourrais enfin me calmer.
M’endormir.
C’est ça qui me plairait
pouvoir rester jusqu’à la fin couché dans la penderie
sous ses robes
passer mes doigts dessus
les toucher et les caresser mais en être touché et caressé aussi
les sentir me frôler le visage et le cou
les sentir m’effleurer les lèvres
on dirait tout à fait que c’est quelqu’un qui vous embrasse
quelqu’un penché sur vous et qui prendrait plaisir à vous exciter et à vous donner des idées
comme au début
avant
quand on flirtait
quand on s’amusait soi-disant
quand la fille acceptait jusqu’à un certain point et qu’à un certain moment elle ne voulait plus rien savoir.
Dans quel état elles vous mettaient à espérer comme ça, sans fin, une caresse définitive
et en même temps
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• Éditions de Minuit, 1982
• Bazar Éditions, 2013 (Les Jockeys camouflés, direction Liliane Giraudon)
• Les Solitaires Intempestifs, 2016 (avec un texte inédit de Ph. Lacoue-Labarthe) |