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Douleur au membre fantôme (figures de Woyzeck)

carré jaune
Extrait

DOCTEUR.– Étouffer, étrangler, noyer, empoisonner : la riche variété des meurtres et des crimes
CAPITAINE.– Et si c’était...
DOCTEUR.– Lapider, égorger, dépecer, démembrer… La variété des circonstances : atténuantes, aggravantes, honte, remords, pardon, repentir, repentance…
CAPITAINE.– Et si c’était...
TAMBOUR-MAJOR.– On vous a déjà dit de terminer vos phrases !
CAPITAINE.– Et si c’était le crime le propre de l’espèce humaine ? Et si c’était la guerre l’essence de l’humanité ?
DOCTEUR.– Même et surtout un assassin est digne de notre pitié pour l’inquiétante familiarité que nous avons avec le crime.
TAMBOUR-MAJOR.– « Ça aurait bien pu m’arriver ! » « Ça aurait bien pu être moi ! »
CAPITAINE.– Lyrisme de l’assassinat, fascination du « Tout ou rien », héroïsme de la vengeance
DOCTEUR.– Les humiliés, les offensés, ont bien le droit de se venger de l’injustice qui leur est faite : ils tuent pour transformer le monde ! Le désespéré tue parce qu’il espère changer le monde ! Quand il tue, l’opprimé n’est pas un meurtrier !
CAPITAINE.– C’est quand même lui l’auteur du crime !
TAMBOUR-MAJOR.– C’est tout de même lui l’assassin !
DOCTEUR.– La preuve est-elle pleine et entière ? La certitude est-elle complète ? L’intime conviction absolue ? Ou n’avons-nous que des indices, des demi-preuves semi-pleines ? A demi-preuve, demi-peine !
TAMBOUR-MAJOR.– Nous avons le coupable, nous avons la victime,
DOCTEUR.– Coupable mais peut-être pas responsable…
TAMBOUR-MAJOR.– Nous avons le témoin, nous avons le mobile, et nous avons l’arme du crime.
DOCTEUR.– L’événement change-t-il l’homme ?
La guerre me change-t-elle en guerrier ?
L’amour vénal en putain ?
Suffit-il de commettre un meurtre pour devenir un assassin ?
CAPITAINE.– Si le crime ne l’a pas changé – pas en criminel en tout cas – peut-être l’était-il avant ? Peut-être l’était-il déjà ?
DOCTEUR.– Peut-on punir le forcené ? Le fou ? L’innocent ? L’aliéné ? Car sans liberté pas de crime. Il doit y avoir eu intention criminelle et non pas seulement disposition innée ou prédisposition fatale. Pour être condamné, l’acte doit être libre !
CAPITAINE.– On peut aussi tuer pour se rapprocher de sa mort… On peut vouloir se supprimer par le détour de la mort de l’autre…
DOCTEUR.– La folie annulant le crime, il importe donc d’établir s’il était fou avant le crime ; ou bien fou au moment du crime ; s’il est fou-criminel ou bien criminel-né ou bien criminel-fou ; fou par passion, par occasion ; fou moral ou épileptique.
TAMBOUR-MAJOR.– Hé bien que dit son corps calleux ?
DOCTEUR.– Il dit : « Entêté, méchant, orgueilleux »
CAPITAINE.– Et sa fossette occipitale ?
DOCTEUR.– « Coléreux, querelleur, tourmenteur d’animaux, extravagant et monstrueux »

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• Les Solitaires intempestifs, 2004
• "Phantom-Schmerz", Jutta Legueil Verlag, Stuttgart 2010. Traduction : Silvia Berruti-Ronelt
 

 

Couverture du livre d'Annie Zadek "Douleur au membre fantôme"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour le 15.10.2019 © 2017 Juliette Gourlat
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